Les maladies du lien : quand la nourriture devient une prison

L'anorexie et la boulimie ne sont pas de simples troubles alimentaires. Elles sont l’expression d’un mal plus profond, celui d’une relation blessée avec soi-même et avec les autres. Car avant d’être un besoin biologique, la nourriture est un lien. Un lien premier, celui qui nous relie à notre mère, à nos parents, à notre niche de sécurité.

Dès les premiers jours de notre vie, nous avons été nourris non seulement de lait, mais aussi d’affection, de présence, de regards et de mots. Ces premiers échanges ont façonné notre manière d’être au monde. Mais que se passe-t-il lorsque ce lien est insécurisant, absent, ou au contraire trop envahissant ?

L’attachement : le premier aliment de la psyché

Boris Cyrulnik, dans ses travaux sur la résilience et l’attachement, explique que nous sommes biologiquement programmés pour chercher la sécurité affective. Un bébé ne peut survivre sans une figure qui prend soin de lui. Il ne peut pas se réguler seul, ni physiquement ni émotionnellement. Il a besoin d’une réponse maternante qui le rassure et lui donne des repères.

Quand ces réponses sont incohérentes ou absentes, l’enfant développe une insécurité affective. Il peut apprendre à se méfier du lien, à se méfier du besoin même d’être nourri. Dans certains cas, il se coupe de ses sensations, il devient "anorexique" du lien, fuyant la dépendance et le besoin. Dans d’autres cas, il cherche désespérément à combler un vide et peut tomber dans des conduites addictives, dont l’hyperphagie et la boulimie sont des expressions.

Le manque et la compensation : quand la nourriture devient un substitut

Ce qui manque dans l’enfance ne disparaît pas. Il laisse une empreinte silencieuse qui, plus tard, cherche à se combler autrement. La nourriture devient alors un refuge, une réponse à une carence affective. Manger peut être une tentative de combler un vide, un moyen d’apaiser l’angoisse, une manière de se punir ou de se protéger.

L’anorexie et la boulimie sont souvent une tentative de reprendre le contrôle sur une émotion qui submerge. Soit en refusant toute nourriture pour tenter d’exister sans besoin, soit en se remplissant jusqu’à l’excès pour étouffer un manque ou une douleur.

Comprendre pour ne plus culpabiliser

Il est essentiel de comprendre que ces comportements ne relèvent pas d’une question de volonté ou de faiblesse. Ils sont la conséquence d’un vécu, d’un lien blessé qui s’exprime par le corps et la nourriture.

Si ces troubles ont une origine, alors ils ne sont pas une fatalité. Ils peuvent être compris, dénoués et transformés. La première étape est de reconnaître que derrière le symptôme se cache un besoin non nourri. Ce besoin n’est pas une honte. Il est une part légitime de notre histoire.

Vers une réparation du lien

Guérir, c’est d’abord retrouver un rapport plus serein à soi-même et à ses besoins. C’est comprendre que la nourriture n’est pas l’ennemi, mais qu’elle a pris un rôle qu’elle n’aurait jamais dû avoir : celui d’un pansement affectif.

C’est aussi réapprendre à être nourri autrement : par des liens sains, par la parole, par la tendresse, par la reconnaissance de ce que l’on a vécu. C’est parfois un chemin long, mais il est possible. La résilience est cette capacité à transformer la douleur en une force, à se reconstruire malgré les blessures.

Boris Cyrulnik le rappelle : nous ne sommes pas condamnés par notre passé. Ce qui a été blessé peut être réparé. Ce qui a manqué peut être retrouvé autrement. Si le lien nous a blessés, c’est aussi par le lien que nous pouvons guérir.

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